C'était un plaisir d'enfance de regarder très loin la mer qui scintille, et ce trait horizontal, qui se courbait parfois, et cachait tant de mondes hors de portée,
sinon par le songe.
Je fais toujours ce rêve...
Les grèves immenses nous appartiennent. Le cri des mouettes et des enfants va au-delà de l'horizon... se perd dans les couleurs changeantes...
Guerriers indiens, marins barbus, nous naviguions sur des mers impassibles...
A force de regarder la mer, le soleil devenait noir... la mouette était une âme qui volait pour nous...
Le cordage, le coquillage, l'os de seiche, le verre poli étaient des trésors...
Homme libre... enfant libre...
L'homme et la mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire