Avant les grandes vacances commençait l’agitation, les préparatifs… L’école était finie, nous allions partir bientôt. Juin posait des nappes de soleil sur les champs, des
franges de lumière sur les frondaisons.
Dans nos têtes déjà voyageait l’image de la petite maison au toit rouge, derrière ses lauriers palmes bourdonnants d’abeilles. La maison de l’oncle, la maison des vacances.
Mon frère et moi préparions nos bagages, ceux destinés à nos loisirs… Car ce n’était pas toujours les vadrouilles aventureuses,
gourmandes de baignades et de bêtises… Nous avions la passion des bêtes et des plantes.
J’avais reçu en cadeau, à ma demande, un petit microscope. Il était de métal noir, granité, pourvu d’un seul oculaire, d’un seul objectif. Une petite trousse l’accompagnait, garnie de
pointes lancéolées, d’aiguilles montées, de scalpels, de pinces brucelles…
Un petit coffret de bois contenait des fioles étiquetées de nom bizarres… Ces noms étaient magiques, et ils sont restés comme des formules attachées à mon enfance. Le
bitume de Judée, le chloral-lactophénol de Amman, la glycérine, le baume du Canada, l’essence de Giroffle, les « réactifs » divers…
Quels beaux noms, évocateurs, invitant au rêve.
Il y avait aussi les pipettes de verre, les « agitateurs », les tubes à essai.
Nous rêvions d’un microtome Ranvier…
Le livre de ce passe-temps était un petit livre souple, nommé « Ce qu’on peut voir avec un petit
microscope ».
Il faisait rêver… Tout semblait facile à le lire…
La campagne immense reposait sous nos yeux,
Les insectes volaient, butinaient, le vent agitait les grandes herbes, les mares grouillaient de vie… Cette jungle miniature était notre pays secret… Les pollens étaient des formes
étranges, géométriques, les poils des plantes, ceux de l’ortie, portaient des vésicules remplis d’acide ! L’aile de la mouche montrait des fleuves d’un sang presque incolore, qu’une vie
étrange animait… Les algues et les mousses, essorées sur une lame de verre glissée sous le microscope, découvraient des monstres invisibles à l’œil nu, des diatomées, des foraminifères, des
infusoires, des rotifères.
La chasse, la récolte de ces matières était un jeu. Près des ruisseaux, dans les mares croupies, dans les mousse, nous ramassions des échantillons. Cela
n’allait pas sans mouiller nos chaussettes, sans salir nos shorts…
Dans la cours, devant la maison, au soleil, le petit microscope régnait, entouré des ses fioles, de ses moissons… On posait une goutte de liquide sur la « lame porte-objet », et on
découvrait le monde merveilleux de l’infiniment petit. Des infusoires se déplaçaient rapidement grâce à leurs bords cillés… Ou des diatomées apparaissaient , visibles comme de petites boites
ornées de dessins compliqués… Géométrie magique, études libres et consenties… plaisirs d’été.
Les parents grognaient parfois, quand ils trouvaient dans un verre une poignée de foin mise à macérer. Il ne fallait pas y toucher… Un voile léger allait bientôt flotter sur l’eau, (tandis qu’une
odeur de décomposition se répandrait aux alentours), voile que nous examinerions avec passion, car il serait riche de vies minuscules.
Ainsi allait la science et nos plaisirs…
Les heures passaient, trop courtes, et il fallait ranger le microscope, les accessoires, jeter les échantillons, nous laver les mains…